mercredi 21 juin 2023

Un regard différent / 4.6 - La philosophie des sciences modernes (ajout du 21 juin 2023)

 Certains prétendent qu'il n'y a pas de philosophie des sciences. C'est en partie vrai dans le sens que c'est le critère de la vérification expérimentale qui détermine en principe ce qui est considéré comme vrai ou faux dans les sciences, pas les idées philosophiques à propos de l'univers qui nous entoure ni les mentalités de l'époque.

Mais ce critère ne s'applique rigoureusement qu'aux lois scientifiques, pas aux théories scientifiques et encore moins aux modèles scientifiques dont il a été question dans une section précédente. J'ai montré dans cette section en question en quoi ces trois composantes scientifiques ont des niveaux de validité bien différents. Pourtant les textes académiques, les articles scientifiques et les articles de vulgarisation scientifique ne font pas habituellement et clairement cette distinction fondamentale.

En fait, le choix des concepts explicatifs des théories scientifiques et le choix des hypothèses qui s'agencent dans les modèles scientifiques reconnus sont influencés selon moi par l'environnement social et humain dans lequel les chercheurs scientifiques travaillent. Dans la section qui suit, je vais d'abord parler de l'environnement social et humain: je vais traiter de la reconnaissance plus importante du rôle des individus que du rôle des interactions sociales dans nos sociétés modernes. J'aborderai ensuite la question de ses effets indirects sur la science elle-même.


La structure hiérarchique des organisations humaines et l'importance accordée aux individus et à leurs qualités individuelles


Un des traits socio-économiques principaux des sociétés modernes est la structure hiérarchique des organisations. Les individus qui se retrouvent à des échelons supérieurs de gestion ont un pouvoir de décision plus grand que les autres employés et sont aussi privilégiés en termes de salaire et d'avantages. C'est vrai autant dans les pays démocratiques que dans les pays autoritaires.

Dans les sociétés où existe le droit à la syndicalisation des employés, il y a quand même un rapport d'équilibre et de force entre les dirigeants des entreprises et les employés syndiqués, rapport de force qui s'exprime lors de la négociation des conventions de travail. Mais la possibilité de transférer ailleurs la production et la menace de la perte des emplois liées à la mondialisation accrue de l'économie ont créé un rapport de force qui a tendance à pencher plus en faveur des volontés des dirigeants d'entreprise. Et on a vu que dans les faits, la mondialisation de la production des biens et des services a produit le transfert d'une partie importante de la production vers les pays avec les plus bas coûts de main-d'oeuvre ou avec les plus bas impôts et coûts sociaux facturés aux entreprises. Le rapport local de force collective des travailleurs a diminué en conséquence face à ces coûts possiblement moindres ailleurs. Le pouvoir des chefs d'entreprise et des gestionnaires en haut de la pyramide des organisations est devenu plus grand.

On peut en voir les conséquences par exemple dans les augmentations majeures de salaires et de privilèges que s'octroient les hauts dirigeants d'entreprise: ces augmentations se font à un rythme beaucoup plus rapide que les augmentations de salaire des autres employés et bien souvent aussi malgré les déficits d'opération et les subventions publiques d'aide à ces entreprises. On l'a vu au Québec entre autres avec la firme Bombardier. La valeur monétaire effective attribuée aux individus dirigeants se fait au détriment de la valeur accordée au travail collectif des autres employés.

Sur le plan plus détaillé du fonctionnement des entreprises, les résultats du travail sont habituellement évalués et attribués à chaque employé de façon individuelle sans tenir compte des interactions nombreuses et plus complexes entre les membres des équipes de travail et avec les membres d'autres équipes de travail. Alors que bien souvent le résultat final ne dépend pas seulement du rendement de l'individu mais de ces interactions plus complexes. On ne voit pas directement le rôle joué par ces interactions collectives dans ce que chacun produit directement. Les résultats sont donc mesurés seulement en fonction de la production directe de chaque individu. Tout le mérite est implicitement attribué à l'individu.


Les processus d'interaction et les propriétés individuelles des particules en physique


Au niveau des propriétés des objets individuels en physique, certains phénomènes d'interaction entre des ensembles de particules sont présentés selon moi comme des propriétés intrinsèques de ces particules.

C'est le cas avec l'interprétation dont j'ai déjà parlée selon laquelle chaque particule élémentaire a une existence probabiliste au lieu de reconnaître un milieu composé d'un ensemble de particules qui interagissent entre elles et produisent collectivement des effets probabilistes. Les interactions collectives sont remplacées par une caractéristique métaphysique propre à chaque particule individuelle. L'effet collectif est présenté comme une qualité intrinsèque et indissociable de la particule individuelle.

Un autre exemple est celui de l'interprétation d'Einstein de l'effet photo-électrique et sa théorisation du photon comme particule individuelle et non pas comme un phénomène ondulatoire lié à un milieu de particules en interaction. Là aussi l'onde lumineuse devient une propriété métaphysique individuelle de la particule.


L'importance relative exagérée donnée aux qualités individuelles


Que ce soit dans l'évaluation des mérites du travail humain que dans l'analyse de certains phénomènes physiques, l'emphase est davantage mise sur les qualités individuelles plutôt que sur les interactions collectives. C'est une tendance de notre type de société mais elle n'est pas absolue cependant. C'est seulement une tendance, pas un comportement toujours présent. Ce n'est donc pas une philosophie globale des sciences actuelles mais un des traits philosophiques qu'on retrouve dans plusieurs recherches et études.

C'est Engels qui le premier a souligné la tendance de certains scientifiques empiristes de son époque à attribuer des qualités métaphysiques individuelles aux objets plutôt que d'étudier les processus phénoménologiques expliquant les comportement collectifs derrière ces supposées qualités intrinsèques. Il a fait cela dans le cadre de son étude et de sa présentation de la méthode matérialiste dialectique appliquée au niveau des sciences de la nature. Il a beaucoup influencé ma façon de considérer la philosophie des sciences.

Dans les anciens régimes d'Europe de l'Est qui ont surgi après la mort d'Engels, la tendance était souvent inverse. Le rôle des individus était parfois nié et réprimé pour ne valoriser que le rôle des interactions sociales (tout en défendant hypocritement en réalité les intérêts du groupe des apparatchiks des partis communistes au pouvoir, il ne faut pas l'oublier). Cela a aussi eu des impacts au niveau des sciences de ces pays. Mais je ne ferai pas ici l'analyse de cette tendance qui est aujourd'hui très marginale.

1 commentaire:

  1. Ce texte reflète bien ton côté structuré et organisé. Excellent! Il me rejoint. La philosophie de l’époque dans laquelle on vit à mon humble avis influence l’objectif des recherches, influence l’attitude de plusieurs chercheurs, influence la ligne suivie dans leurs recherches. Merci pour tout ces textes qui m’ont fait réfléchir, pour tout ce que tu as partagé avec moi. Carmen Allard

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