samedi 24 juin 2023

Science sociale (par exception): Mon bilan en vrac des différentes formes historiques de socialisme


Le léninisme

 Le léninisme est une doctrine prônant la dictature politique d'un parti marxiste. La dictature d'un parti avec une doctrine socialiste supposément scientifique et au service des intérêts de la classe ouvrière. La dictature politique s'exerce non seulement à l'égard de la bourgeoisie comme l'énonce le marxisme-léninisme, mais aussi à l'égard de toutes les classes et même des organes élus de la classe ouvrière. Cela a été le cas quelques fois du temps de Lénine envers les soviets et leurs représentants élus. Lénine manoeuvrait parfois pour que sa doctrine et ses idées triomphent même à l'encontre de la démocratie réelle de la classe ouvrière. Les intérêts théoriques prétendus de la classe ouvrière étaient placés au-dessus de la démocratie réelle, c'est-à-dire des intérêts réellement défendus par la classe ouvrière.


À la limite, il est possible que l'attitude autoritaire d'un parti et d'un chef soit acceptable durant une très courte période dans des circonstances exceptionnelles qui ne donnent pas le temps au processus démocratique de s’exercer immédiatement. Mais une doctrine qui se prétend scientifique et qui place de façon générale la science et la théorie au-dessus de la démocratie est très orgueilleuse et exige beaucoup de foi en réalité. Comme si les théories scientifiques ne se trompaient pas elles-mêmes parfois. Il faudrait être aveugle devant l'histoire réelle des sciences pour oser prétendre une telle chose. Encore plus, l'affirmation que le marxisme est une science aurait besoin d'être justifiée mieux que ses adeptes l'ont fait jusqu'à maintenant. D'ailleurs, même si le marxisme était une science, l'histoire a montré que les prédictions scientifiques de Marx et de ses adeptes étaient erronées.


Pour conclure à l'encontre du léninisme, l'autorité d'un parti politique et de son chef ne devrait pas être placée de façon générale au-dessus de l'autorité des instances démocratiques. Il est à noter cependant que cela n'enlève rien aux mérites historiques nombreux du marxisme et du léninisme (la proposition de mettre fin à la 1ère guerre sans compensations ni annexions, la distribution des terres aux paysans de la Russie, l’initiative de nombreuses mesures sociales, la force donnée aux organisations des travailleurs partout dans le monde, etc.). La dictature d'un parti a engendré cependant dans son sillage des tensions sociales, de la misère humaine et des développements historiques douloureux.


Pour abattre le régime de terreur du tsar et mettre fin à la tragédie de la 1ère guerre mondiale (car ce sont bien les bolchéviques de Lénine qui ont entraîné en dernière analyse la fin de la 1ère guerre mondiale) cela nécessitait une organisation centralisée très disciplinée, déterminée, ayant à coeur les intérêts des ouvriers et des paysans et faisant preuve de beaucoup de souplesse pour manoeuvrer dans des conditions difficiles et imprévues. Le parti bolchévique était une telle organisation avec une discipline motivée mais très stricte. Cependant, il a maintenu ses traits autoritaires même après la chute du tsarisme, après la fin de la participation à la 1ère guerre mondiale et après la fin de la guerre civile. Les caractéristiques autoritaires du parti de Lénine forgées dans la lutte contre le tsar et ses successeurs hypocrites se sont prolongées en période de paix pour devenir permanentes. Pouvait-il en être autrement de la part d'un parti qui mettait sa doctrine théorique et son chef au-dessus de la démocratie réelle?


Le stalinisme


Le stalinisme quant à lui est le léninisme ultérieur où la ligne politique à suivre établie par les instances du parti devient hégémonique et ne tolère plus aucune fraction au sein même du parti. Si Staline a interdit les fractions et fait taire les opinions divergentes au sein du parti bolchévique, alors que Lénine les tolérait habituellement, son attitude est le prolongement à l'intérieur du parti de l'imposition léniniste de la ligne doctrinaire du parti à la classe ouvrière et au peuple tout entier. C'est la priorité absolue accordée à la doctrine, au parti, à la «ligne de parti» qui a transformé le parti bolchévique en une secte bureaucratique. Cela était nécessaire à Staline qui n'avait pas au début l'ascendant et l'autorité de Lénine pour manoeuvrer comme Lénine le faisait en dehors de la ligne du parti déjà établie.


Durant la période d'élaboration du stalinisme, la lutte pour le pouvoir politique du parti s'est transposée sur le plan économique dans la lutte pour établir la collectivisation des moyens de production. Cela s'est fait dans le cadre où la révolution mondiale est remplacée comme but à atteindre par l'établissement du socialisme dans un seul pays. Cela s'est fait en exacerbant la lutte des classes en URSS et en ne tolérant aucune opposition dans le pays et le parti. La transformation du pays reposait sur la doctrine du socialisme, sur la foi en un avenir socialiste plus que sur des intérêts immédiats concrets comme «le pain, la paix, la terre, la liberté». Elle reposait sur l'exacerbation des antagonismes entre les classes. Elle nécessitait encore davantage de foi doctrinaire et donc aussi d'autorité pour imposer les changements à ceux qui n'ont pas la foi, soit parce qu'ils n'ont pas les mêmes intérêts de classe ou qu'ils ne sont pas d'accord avec la façon de faire les choses.


Indépendamment du fait qu’aujourd’hui je m'oppose au stalinisme, il faut reconnaître que l'URSS de Staline s'était bien préparée pour faire face à l'agression nazie lors de la 2ème guerre mondiale. L'URSS a su rattraper l'état lamentable de son économie au sortir de la guerre civile, elle a su rattraper son retard technologique et elle a mis en déroute les armées d'Hitler. Il faut reconnaître que Staline pratiquait une politique qui visait réellement à développer le pays et qu'il le faisait en ayant comme objectif de servir les intérêts de la classe ouvrière. Le fait qu'il était un doctrinaire à la tête d'une dictature et qu'il ne favorisait pas la démocratie ouvrière n'y change rien.




En conclusion, selon mon évaluation, le socialisme est une philosophie politique qui s'appuie sur une doctrine au lieu de s'appuyer sur l'expression démocratique réelle des volontés du peuple.


N.B.: On ne peut pas parler de la «période dite marxiste-léniniste» de la gauche au Québec en passant sous silence le 1er parti à se constituer ici sous cette bannière en 1970. Si le PCC(m-l) [qui se présente aux élections sous le nom Parti Marxiste-Léniniste] m'apparaît clairement comme un parti révolutionnaire extrémiste, sectaire et à pensée unique, il a joué un rôle historique indéniable ici. À preuve, on entend encore aujourd'hui des échos de son slogan-programme célèbre «Faisons payer les riches».


Il y aurait beaucoup de choses à dire contre le PCC(m-l) marqué au seau de l'intransigeance de la jeunesse et de l'aveuglement maoïste. Mais la critique de fond qui en est faite par les anciens d'En Lutte, du PCO et des groupes trotskystes s'applique en fait au concept léniniste même de petit parti prolétarien professionnel d'avant-garde qui prône la violence révolutionnaire. Et c'est une critique qu'on a faite au parti de Lénine dans son temps. Ces groupes font une critique justifiée mais ils critiquent le concept qui est à la base même de l’idéologie marxiste-léniniste à laquelle faisaient allégeance 2 de ces 3 groupes.


Les critiques d'un autre type contre le PCC(m-l) sont pour la plupart des rumeurs malveillantes d'organisations rivales apeurées par l'intransigeance de ses positions politiques et la détermination combative qu'avaient montré ses militants en révolte concrète réelle contre le mode d'organisation de la société dans laquelle ils vivaient.


Ayant moi-même milité comme sympathisant du PCC (m-l) entre les années 1977 et 1989 (jusqu'à la crise en Albanie qui a précédé la chute du régime socialiste albanais et qui était en phase avec la crise des régimes de l'Europe de l'est), je suis en mesure de juger de l'absence de fondement des critiques de cet autre type. J'ai côtoyé à Québec et à Montréal des dirigeants et des militants sincères et dédiés à leur cause idéaliste révolutionnaire et j'ai vu d'où venait réellement leur financement qui était un financement par les membres et sympatisants.


Le manque d'enracinement du PCC(m-l) et son opposition historique constante aux autres groupes d’ici qui se réclamaient du marxisme-léninisme est le reflet, il me semble, des conditions concrètes de notre époque et de notre société qui sont bien différentes de celles qui ont présidé aux révolutions historiques bolchéviques et maoïstes.


La persistance du PCC(m-l) aujourd'hui montre sa conviction révolutionnaire beaucoup plus grande que les autres groupes marxistes-léninistes d'ici qui l'ont suivi. Et ces groupes ont disparu rapidement et définitivement contrairement au PCC(m-l). Sa persistance montre aussi cependant son sectarisme borné et aveugle plus prononcé que celui des autres groupes. Mesuré par rapport au marxisme-léninime dont se réclamaient bon nombre de militants politiques et syndicaux dans les années 70, son mérite est définitivement plus grand, mais cette mesure est tordue et désincarnée.


Globalement, parler de la «période dite marxiste-léniniste» d’ici sans parler de son groupe initiateur le plus persévérant est le reflet d’un parti pris découlant des cheminements politiques personnels de ceux qui commentent cette période. Ce n’est pas là une analyse systématique et impartiale de la question. Cela est tout de même un témoignage que l’enracinement actuel de la gauche au Québec n’origine pas directement de la tendance marxiste-léniniste même si elle a été influencée momentanément par cette tendance dans des conditions propices aujourd’hui disparues.



Quel bilan global doit-on faire de l’histoire du socialisme réel?


Pour moi, la révolution soviétique a réellement établi un gouvernement qui avait à cœur de défendre les intérêts collectifs des travailleurs et des peuples de l’URSS et des autres peuples dans le monde. La révolution contre le pouvoir absolu, exploiteur et impitoyable des tsars a nécessité un parti clandestin avec une détermination inébranlable, avec une abnégation exemplaire et avec une discipline de fer. C’est ce parti à toutes épreuves qui a su établir son hégémonie sur l’ensemble des classes de la société russe. Ce pouvoir, s’appuyant sur une doctrine théorique stricte qui prône la dictature du prolétariat et qui prédit la fin de l’existence des classes sociales, et s’appuyant aussi sur des conditions difficiles de lutte aux niveaux national et mondial, ce pouvoir a fini par ne tolérer qu’un seul parti politique et par la suite qu’une ligne de pensée au sein de ce parti. Il a aussi fini dans les faits par représenter et défendre les intérêts d’une nouvelle classe privilégiée de dirigeants d’entreprises et de gestionnaires liés à ce parti.



Le socialisme est une doctrine utopique


Quant à moi, je ne crois pas à un monde socialiste idéal où tous auraient non seulement les mêmes droits mais aussi où il n’y aurait plus de classes sociales exploiteuses à cause de la propriété collective des moyens de production. Cela me semble utopique dans un monde moderne et très spécialisé comme le nôtre.


Je ne vois pas comment on peut gérer la société sans qu’une classe spécialisée gère et coordonne la production. Et qui dit gestion et coordination dit aussi pouvoir économique concret qui peut être utilisé au profit politique des individus de ce groupe spécifique comme cela a été le cas en URSS et dans les pays de l’Europe de l’est. Si dans notre société il ne faut pas cesser de se démener pour démocratiser les organisations et exiger des comptes serrés de la part des individus au pouvoir, je ne pense pas qu’on puisse éviter dans un avenir prévisible la division en classes sociales et le pouvoir concret inégal entre les classes sociales. L’expérience russe ne permet plus ce genre d’idéalisme aveugle.



La chute des régimes socialistes de l'Europe de l'est


Le socialisme, avec son économie rigide planifiée centralement, n'est pas une erreur historique comme certains l’ont prétendu. À leurs débuts, les régimes d'Europe de l'est ont fait faire un bond historique aux sociétés sous-développées qu'ils ont pris en mains. Ils ont aussi développé une main-d'oeuvre éduquée, ils ont assuré la sécurité d'emploi à la population et ils ont fournis d'excellents services sociaux.


Par contre, comme tout le monde le sait, ces régimes ne permettaient pas de flexibilité de développement et de choix individuels. Ce sont surtout les aspirations et les désirs de consommation de la population, et en premier lieu de la jeunesse avide des produits disponibles dans les pays de l’ouest, qui sont la cause directe du renversement des régimes de l'est.


Deux décisions de base ont limité grandement ou empêché la production des biens convoités par la population:


1) la décision rigide et consciente de leurs dirigeants politiques de limiter le développement des produits et services de consommation personnelle (surtout les transports - l'automobile personnelle - et les communications); cette décision découlait de l’orientation socialiste de base de développer surtout les produits et services collectifs;


2) la décision d’éviter l’introduction systématique et rapide des ordinateurs (et certains autres systèmes mécanisés) dans les systèmes de production afin de ne pas créer de chômage.


Les effets de ces choix ne leur permettaient plus de compétitionner politiquement avec le capitalisme à économie de marché.


La corruption des dirigeants politiques et la création d'une nouvelle classe de privilégiés n’ont pas été une cause de fond de la chute des régimes de l’Europe de l’est, car ces facteurs existent aussi dans les pays à économie de marché (et sur une échelle beaucoup plus vaste).


Le problème de fond du socialisme, c'est sa rigidité (alors que le problème de fond du capitalisme, c'est le chômage et l'insécurité). Même si un régime socialiste décidait de développer les secteurs économiques de consommation individuelle, la rigidité inérante à la planification centralisée de l’ensemble de l'économie demeurerait présente et pourrait à tout moment engendrer une crise fatale dans les conditions économiques et politiques mondiales actuelles.


Les régimes socialistes ne sont pas les seuls qui ont été en crise dans les conditions économiques mondiales des années 1980 et 1990. Certaines grandes entreprises capitalistes planifiées centralement (comme GM, IBM et d’autres) n’étaient pas non plus assez flexibles pour compétitionner efficacement dans les conditions modernes; elles ont dû se restructurer et décentraliser en bonne partie leur gestion courante.


Il ne faut pas déduire grossièrement de la chute des socialismes de l'Europe de l'est que cela démontre l'échec des valeurs sociales de l'homme ou des mesures sociales. L'homme est et restera un animal social, à un point tel que des lois, des constitutions et des ententes lient ensemble aujourd’hui des millions, des centaines de millions, et même des milliards d'individus. Ces ententes politiques et sociales gigantesques ne sont pas un vague idéal mais une nécessité bien réelle de vie et de survie des populations humaines d’aujourd’hui.


Cependant, on doit se rendre compte que les capacités conscientes de planification de l'homme sont limitées. On doit laisser beaucoup de place au libre jeu interactif et complexe des intérêts et des influences innombrables qui se font sentir dans nos sociétés modernes. Tout comme il faut laisser beaucoup de place dans nos vies individuelles à l’émergence et à l’interaction spontanée des besoins et désirs multiples que nous ressentons.


La vie, celle des sociétés comme celle des individus, est à la fois une science et un art. Elle progresse en se servant à la fois d’analyses conscientes et de leçons des expériences faites au hasard.


Tout l’art de gouverner est dans le dosage à faire entre l’importance à accorder aux intérêts communs perçus et à celle à accorder aux intérêts particuliers qui vont un peu dans toutes les directions.


Porter attention aux seuls intérêts communs perçus, c’est faire un pari prétentieux sur ce que seront les résultats réels à long terme de nos actions. C’est prétendre que les hommes du XX ème siècle savent réellement ce que sera le XXI ème siècle. Mais c’est en fait limiter rigidement le développement de la société dans une seule direction.


Porter attention aux seuls intérêts particuliers, c’est risquer l’éclatement de toute société. C’est présenter la tour de Babel comme un idéal de société. Mais aussi et surtout nier la force des regroupements qui ont façonné toute l’histoire humaine.



Les liens entre le socialisme et l'avènement de la sociale-démocratie


L'instauration du keynésianisme et de la sociale-démocratie au pouvoir qui lui est associéee suit l'instauration du socialisme en URSS, en particulier, après la crise du système capitaliste débutée en 1929. Elle est aussi liée aux efforts de guerre des États capitalistes, à la victoire ultérieure du socialisme dans les pays d'Europe de l'Est et à la montée des luttes anti-coloniales.


C'est la lutte des classes au niveau mondial qui a «incité» à la sociale-démocratie au pouvoir. Les régimes socialistes réels ont été par la suite le talon d'achille des luttes socialistes et ouvrières. Une fois la pression du socialisme tombé, la nécessité des mesures sociales-démocrates est remise en question.

À l'usure et au discrédit des partis sociaux-démocrates qui se font les gérants politiques du système capitaliste, succèdent des partis réformistes de droite.

1 commentaire:

  1. Sociale et démocratie quel beau rêve! Merci, une connaissance de plus que cet historique du socialiste que j’ai copié pour le conserver. Tu as 50 ans d’observation et réflexion dans ce texte.

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